Slavoutitch, la ville des liquidateurs (2)
Dans le cadre de la préparation d’un projet artistique, je m’étais rendu fin octobre, début novembre 2006 dans la zone d’exclusion de Tchernobyl pour y faire un travail de reconnaissance photographique. C’est un ami faisant office d’assistant photo qui m’accompagnait.
Slavoutitch est une ville jeune, bâtie à partir de 1987. Cette ville d’Ukraine perdue au milieu des bois se trouve sur un axe est-ouest, à mi-chemin entre la centrale nucléaire de Tchernobyl et la ville de Tchernigov. Elle compte environ 25.000 habitants majoritairement d’origine russe. La ville fut construite à la hâte et abrita dans un premier temps une partie des 800.000 liquidateurs ayant œuvré à « liquider » les effets de la catastrophe dans les mois et les années qui suivirent l’accident. Puis les familles des employés de la centrale, qui n’arrêta sa production d’électricité qu’en décembre 2000, s’y installèrent.
Quelques 3000 personnes seraient actuellement encore employées sur le site de la centrale nucléaire pour des travaux de maintien en état des installations, pour sécuriser le site par rapport à d’éventuelles attaques terroristes, mais également pour l’activité de distribution de courant électrique rendue possible par l’interconnexion des réseaux.
Au lendemain de la catastrophe, les Républiques Socialistes composant l’Union Soviétique furent sollicitées pour les travaux les plus urgents (maîtrise de l’incendie, enfouissement du magma radioactif, recouvrement de la toiture, détournement de voies fluviales, …) et notamment pour la construction de cette ville, destinée à abriter les employés de la centrale. Chaque république missionna ingénieurs et architectes, et envoya ses constructeurs et ses matériaux pour créer un quartier de la ville : Slavoutitch comprend donc un secteur arménien, azerbaïdjanais, estonien, letton, lituanien, pétersbourgeois, moscovite, ukrainien, géorgien, …
Rien, hormis un monument en granit disposé à l’extrémité de la place centrale, ne permet d’emblée de faire le lien avec le malheur. Le monument rend hommage aux 26 hommes et 2 femmes, tous employés de la centrale, morts dans d’atroces souffrances les jours et les semaines qui suivirent l’explosion.
A Slavoutitch, le temps y est comme suspendu : rien, ni même un papier gras, ne vient troubler la monotonie des larges et longues allées en béton, un silence de plomb flotte sur cette zone surgie de nulle part. L’immense place déserte sur laquelle s’élève le pompeux palais du conseil municipal est entourée de quelques rares magasins aux devantures soviétiques.
J’y rencontrai Roman, un jeune ukrainien de Slavoutitch parlant parfaitement le français. Enfant de Tchernobyl, il suivit des études en France grâce au travail d’une association humanitaire. Il aura terminé dans quelques jours une mission de traducteur pour une société française travaillant à un projet de construction d’une usine destinée au traitement des déchets radioactifs liquides. Grâce à lui, nous pénétrâmes l’intimité des autochtones et réalisâmes quelques rencontres étonnantes où la vodka et les harengs ne manquèrent jamais. Rencontre étonnante comme celle de Sacha et Vladimir dont on fêtait le départ proche pour une mission à l’étranger. Ils allaient mettre leur expérience acquise à la centrale de Tchernobyl au service de l’Iran. Même à Slavoutitch, l’actualité nous rattrapait.
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