Pripiat, la ville fantôme (4)
Cette ville créée ex-nihilo, dont la construction débuta au début des années 70 en même temps que celle de la centrale nucléaire de Tchernobyl, fut habitée par les personnels travaillant sur le site et leurs familles. Construite selon un schéma expérimental, elle était dotée d’infrastructures modernes et d’équipements nombreux adaptés aux besoins de ses 50.000 habitants. Les ouvriers du nucléaire étaient des privilégiés.
A partir de la centrale de Tchernobyl, nous empruntons à pied une large chaussée déserte pour nous rendre à Pripiat. Un vent glacial et violent balaye la chaussée, quelques flocons de neige atteignent péniblement le sol. Nous marchons en file indienne, tête baissée pour nous protéger du froid.
Masquée par la forêt, la ville tarde à s’offrir à mon regard. Après une marche d’environ quatre kilomètres, nous traversons un pont enjambant des voies ferrées. En contrebas, la ville apparaît enfin. Elle est ceinturée par une haute clôture en fils de fer barbelés qui s’étend à perte de vue. Cela laisse penser à un univers concentrationnaire plutôt qu’à une ville même abandonnée. L’enceinte avait été réalisée pour éviter les pillages ainsi que la dissémination de la contamination. Après l’évacuation de la ville, des pillards arrivaient par bateaux, emportaient le mobilier et tout ce qui était resté sur place pour le revendre sur les marchés de Kiev et de Minsk.
Dans le prolongement de la route se trouve le poste de garde car l’accès à Pripiat est strictement réglementé. Sanctuaire au sein de la zone d’exclusion, elle est inaccessible même pour ses anciens habitants travaillant encore à la centrale. Tout au plus ont-ils reçu, à l’occasion de la Toussaint orthodoxe fêtée le premier dimanche après la Pentecôte, l’autorisation de se rendre au cimetière situé à proximité immédiate de la ville et à l’extérieur des barbelés.
Des volutes de fumée s’élèvent du cabanon placé à côté de la barrière abaissée. Le policier en faction contrôle les autorisations d’accès et nous laisse pénétrer dans la ville par l’avenue Lénine. Cette double chaussée séparée autrefois par des espaces verts et maintenant envahis par des arbres.
Parallèlement à cette longue voie, sont implantées des barres d’immeubles d’une dizaine d’étages. Leurs fenêtres cassées ou ouvertes percent la monotonie des façades grisâtres et défraîchies. Les revêtements de finition des murs tombent par pans entiers et mettent la brique à nu. Les arbres déjà perdent leurs dernières feuilles. Les oiseaux migrateurs ont déserté les lieux pour un climat plus agréable. Cet abandon nous signifie que la nature s’apprête à affronter la rudesse de l’hiver proche et amplifie cette sensation de malaise qui saisit le visiteur quand il découvre la ville. Le bruit qui caractérise toute cité urbaine y est absent. Le silence n’est violé que par quelques claquements de portes et de fenêtres dérangées par le vent qui s’engouffre dans les corridors.
Ce silence pesant rend humble. Autrefois, les rues étaient animées par la circulation des voitures, les transports en commun, les rires et les cris des enfants. Aujourd’hui, on ne crie plus, on ne parle plus, on murmure pour communiquer…
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